

Le temple bouddhiste Kôdaiji a été fondé en 1606, en hommage à Toyotomi Hideyoshi, trois ans après la bataille décisive de Sekigahara, qui scelle l’unification du Japon par Tokugawa Ieyasu.
Il appartient à l’école Rinzai, qui perpétue un bouddhisme zen hérité du chan chinois, dont le monastère Shaolin est l’un des plus illustres représentants.
Cette branche du bouddhisme tente de concilier la violence inhérente à la vie des guerriers (bushidô) avec la quête d’une paix intérieure.

La diffusion du bouddhisme au Japon s’est faite parallèlement à l’adoption progressive d’une branche zen de cette religion par les classes guerrières (samouraïs), après avoir été d’abord cultivé dans les cercles aristocratiques sous d’autres formes.
Le mode de vie austère, discipliné et introspectif prôné par le zen épouse l’esprit du bushidô, contribuant ainsi à son intégration dans la culture japonaise.
C’est au tournant du XIIIe siècle, alors que le Japon traverse l’une de ses périodes les plus chaotiques, que le bouddhisme chan atteint le pays du Soleil levant.
Les périodes Kamakura (1185–1333) et Sengoku (XVe–XVIe siècle) partagent une même tension guerrière et un chaos généralisé qui ont constitué un terreau fertile à l’essor du bouddhisme zen.

Malgré la paix retrouvée à l’époque Edo, le temple Kôdaiji a traversé les siècles en subissant de nombreuses destructions.
Incendié à plusieurs reprises, notamment en 1789 et en 1863, il a vu disparaître une partie de ses structures d’origine, dont plusieurs pavillons richement décorés.
La reconstruction de 1912, bien que plus sobre, a permis de préserver son esprit zen grâce à son architecture, ses jardins et ses rituels perpétués jusqu’à nos jours.
Classé parmi les joyaux du patrimoine culturel japonais à Kyoto, le temple s’inscrit désormais dans une dynamique vivante, ouverte à la création contemporaine.
C’est dans cet esprit qu’il accueille en 2009 une exposition majeure de Rikizo, marquant un dialogue inédit entre spiritualité zen et art abstrait moderne.
L’installation des fusuma rouges et noirs peints par Rikizo dans les pavillons du temple scelle une nouvelle étape dans l’histoire du Kôdaiji : la tradition s’épanouit désormais dans le miroir d’une modernité aux résonances internationales, à l’image du Japon contemporain.
Moine en chef (shitsuji) du temple zen Kôdaiji à Kyoto, Tenshō Gotō est aujourd’hui l’une des figures majeures du bouddhisme Rinzai, branche contemplative et rigoureuse du zen japonais.
En découvrant les peintures abstraites de Rikizo en 2008, il y perçoit immédiatement un écho profond de l’enseignement du Bouddha et des principes zen qu’il incarne au quotidien.
À ses yeux, le style Rouge Levant ne se contente pas de décorer les fusuma du temple : il prolonge une quête intérieure millénaire, celle de la vacuité, de l’impermanence et de la contemplation du présent.


« Les peintures abstraites de Rikizo m’ont beaucoup touché et l’idée de les montrer dans le cadre d’un temple zen m’a paru intéressante, car j’y ai vu quelque chose qui correspondait à l’essence même du bouddhisme.

Le mot japonais « nioï » signifie pour la plupart des gens « odeur », mais dans le bouddhisme, il évoque un contraste éclatant entre des couleurs.
De fait, les temples bouddhistes accordent une grande importance aux couleurs - feuilles dorées de l’automne ou cerisiers en fleurs du printemps, par exemple - parce que celles-ci, à travers le temps, ont quelque chose de commun avec la vie et la mort.

Dans la vie, il n’y a pas que des tensions et l'on a besoin d'une tranquillité apaisante.
Sans joie, émerveillement ou autres émotions, il n'y aurait pas de vie.
Pour le bouddhisme, rien n'est permanent, rien n'est figé.
Ce que j’ai ressenti devant les œuvres de Rikizo, c’est exactement le génie du bouddhisme.
J'ignore si l'artiste est mû par cette conviction lorsqu'il peint, mais ce que je sais, c'est que ses peintures ont tout à fait leur place à l'intérieur d'un temple bouddhiste. »

Pour Tenshō Gotō, l’art contemporain n’est pas un intrus dans l’univers sacré du zen : il en est une extension vivante.
Ce moine, reconnu pour avoir accueilli l’innovation au cœur du temple Kôdaiji en cocréant l’androïde Mindar, inspiré d’Avalokitésvara (Kannon), le bodhisattva de la compassion ultime telle la Vierge Marie dans le christianisme, voit dans la technologie comme dans la peinture une opportunité de toucher l’essence intemporelle du dharma.
Dans les compositions rouges de Rikizo, il reconnaît cette même force transformatrice : le rouge, dans la tradition bouddhiste du grand véhicule (mahayana), incarne la vitalité, la compassion, la chaleur protectrice des bodhisattvas, mais aussi la concentration, la purification et le feu intérieur.
C’est une couleur de passage et d’éveil, associé au chakra du nombril (manipura) et à Amitabha, le bouddha de la compassion, vénéré au Japon à travers le mantra « Namu Amida Butsu ».
Ainsi, la rencontre entre l’art de Rikizo et le temple bouddhiste Kôdaiji, entre tradition spirituelle et expression moderne, prolonge la quête intemporelle du zen : faire jaillir la lumière au cœur du vide.

Lawrence RH Smith, conservateur émérite des antiquités japonaises au British Museum de Londres, livre ici une analyse approfondie de l’exposition de Rikizo au temple bouddhiste zen Kôdaiji à Kyoto.
Il y examine la portée artistique, spirituelle et historique de cet événement inédit, où l’art abstrait moderne - né en Europe au début du XXe siècle - entre en résonance avec l’architecture traditionnelle du zen Rinzai.
Selon lui, cette rencontre marque une étape décisive dans l’histoire de l’art japonais : la naissance possible d’une nouvelle école contemporaine, enracinée dans le dialogue entre modernité plastique et héritage spirituel.
« Si je me réjouis de voir le Kôdaiji exposer des peintures de Rikizo dans le cadre célèbre de ses salles riches d’histoire, c’est pour trois raisons.
D’abord, Rikizo est un artiste important que j’admire depuis longtemps.
Ensuite, je crois que ses œuvres conviennent parfaitement au contexte bouddhiste traditionnel dans lequel elles vont être exposées.
Enfin, cette exposition marquera la convergence de forces culturelles japonaises et internationales en un moment d’une portée historique exceptionnelle.
Cela fait maintenant un certain nombre d’années que je suis la carrière artistique de Rikizo et écris à son sujet.
Depuis toujours, j’admire l’équilibre de ses peintures, un équilibre qui semble gagner en assurance à mesure que les formats grandissent.
Par "équilibre", j’entends cette impression de relation inévitable qui paraît exister, à l’intérieur de chaque œuvre, entre les formes apparaissant sur la toile.
Certes, d’une certaine façon, tel est le cas dans toute œuvre d’art réussie, mais, d’un point de vue plus japonais, je pense que, chez Rikizo, l’équilibre s’apparente étroitement à celui de la calligraphie de l’Asie orientale.
En vérité, l’une des premières choses que j’ai remarquées dans son travail, c’est à quel point les formes allongées récurrentes – souvent en noir – me rappellent subtilement les traits des idéogrammes, changeant souvent brutalement de direction, comme c’est fréquemment le cas dans le style kaisho.
De fait, ses grands panneaux donnent souvent l’impression d’explorer un idéogramme perçu à travers un rêve.
C’est là l’un des éléments qui font que son travail s’insère si harmonieusement dans l’environnement intensément japonais du Kôdaiji.

On pourrait objecter que, par essence, l’idéogramme est noir sur blanc, tandis que les peintures de Rikizo ont surtout été rouge sur noir, bleu ou vert sur noir, ou, plus récemment, rouge sur rouge.
Mais ce serait ignorer une perspective plus large, à savoir que, dans tous les cas, il s’agit de tensions entre des contraires – obscurité/lumière ; existence/vide – qui reflètent les préoccupations de toutes les grandes religions et philosophies.
Dans son travail, Rikizo explore ces profondeurs, comme le font, chacun à sa façon, tous les artistes sérieux.
Je ne suis donc pas surpris que ses peintures aient été jugées appropriées pour un grand temple bouddhiste.
Par ailleurs, les visiteurs de l’exposition constateront qu’aucune des surfaces rouges ou blanches de ses toiles n’est plate.
Comme dans les fonds à la feuille d’or des panneaux coulissants opaques (fusuma) et des paravents (byobu), leur texture est complexe et variée, reprenant divers aspects de la lumière qui change dans le jour avance.
C’est là une représentation de l’impermanence qui est au cœur de la pensée bouddhiste et que traduit particulièrement la notion japonaise de aware.
On remarquera aussi que toutes les œuvres de Rikizo sont à la fois statiques et en mouvement.
Elles entraînent toujours l’œil au-delà des limites physiques de la toile tridimensionnelle pour l’amener à s’interroger sur ce qui s’est passé avant et ce qui se passera après.
De fait, certaines s’aventurent même en dehors de la toile, comme pour défier leur propre réalité physique, ce qui procède à la fois de l’impermanence et de l’immédiateté de ce que nous éprouvons ; cela aussi est au cœur de tout art sérieux.

Si j’ai, jusqu’ici, évoqué l’art d’un artiste donné, il est, dans cette exposition, autre chose d’unique qu’en tant qu’historien de l’art je crois être d’une importance majeure.
Ce n’est pas le fait que des peintures purement abstraites ont été choisies pour un temple bouddhiste, car cela s’est déjà produit par le passé, même si cela n’a pas été très fréquent.
Non, ce qui est remarquable, c’est plutôt – aussi extraordinaire que cela puisse paraître alors que des artistes japonais peignent à l’huile dans le style occidental avec vigueur et talent depuis 150 ans – que des œuvres réalisées sur toile suivant cette technique sont, pour la première fois, utilisées dans un édifice religieux aussi traditionnel que le Kôdaiji.

Jusqu’ici, seuls le papier ou la soie étaient employés.
Pour cette exposition, Rikizo n’a ménagé aucun effort en vue de produire des œuvres qui puissent être adaptées comme fusuma-e (peintures sur panneaux coulissants opaques) ou kakejiku (rouleaux de calligraphie à suspendre), voire comme petits paravents (byobu-e).
Pour y parvenir, il aura fallu, non seulement à Rikizo, mais encore au hyogu-shi (spécialiste du montage, de l’entretien et de la réparation de ces articles) et, bien évidemment, aux responsables du temple eux-mêmes, déployer des trésors d’imagination et d’ingéniosité.







Avant sa destruction par un incendie en 1912, le temple bouddhiste Kôdaiji de Kyoto était orné de feuilles d’or et d’ornements somptueux, incarnant l’esthétique fastueuse de l’époque Momoyama.
Cette splendeur d’antan renaît aujourd’hui à travers la subtilité de l’abstraction contemporaine du Rouge Levant.
Né de la rencontre entre le Japon et la France, il ravive la mémoire spirituelle du temple zen et l’illumine avec force et douceur.
Le temple Kôdaiji inscrit au patrimoine national japonais demeure fidèle à sa vocation première : honorer la mémoire du Bouddha Siddhartha Gautama en accueillant, à travers les siècles, la lumière vivante du présent.
